Séminaire de Mécanique d'Orsay
Jeudi 27 janvier à 14h au FAST
Des airs de désert: le chant des dunes, une amplification des ondes acoustiques par frottement
Bruno Andreotti
PMMH, ESPCI, Université Denis Diderot
De nombreuses dunes émettent spontanément un son grave, rendu harmonieux par un intense vibrato, lorsque des avalanches de sable coulent le long de leur face pentue. Plus précisément, une telle avalanche se produit lorsque le sable accumulé en congère en haut de la dune présente une pente localement plus grande qu'une pente critique, de l'ordre de 34°. Le phénomène sonore a été décrit pour la première fois dans un manuscrit chinois du neuvième siècle. On en trouve également une évocation fantasmatique dans les carnets de voyages de Marco Polo, parus en 1298, qui le compare au vacarme conjoint d'une nuée d'instruments de musique. Le son émis, d'une amplitude qui atteint en général un peu plus de 100 décibels, ressemble plus prosaïquement à celui d'un bi-moteur volant à basse altitude. La plupart des dunes éoliennes peuvent chanter lorsque le réchauffement par le soleil est capable d'assécher à la surface de la dune une couche de sable suffisamment épaisse. Ainsi, les dix milles dunes en croissant (barkhanes) du Sahara Atlantique peuvent chanter, mais les plus petites de ces dunes sont beaucoup plus difficiles à réchauffer et chantent donc moins fréquemment que les plus grandes.
Nous montrerons que l'émission sonore dans l'air est induite par des ondes sismiques guidées à la surface de la dune. Ces ondes mettent en jeu les déformations du squelette élastique du matériau granulaire. Comme un haut-parleur, la vibration de la surface du sable émet le son dans l'air. Puis nous mettrons en lumière le mécanisme d'amplificatiion conduisant à une instabilité vibratoire du sable. Lorsque les ondes sismiques se réfléchissent sur la bande de cisaillement séparant l'avalanche de la dune, le comportement frictionnel de cette dernière conduit à un pompage cohérent d'énergie depuis le mouvement de translation de l'avalanche vers les ondes sismiques. Les ondes sont guidées par l'avalanche et sont amplifiées à chaque réflexion; dès lors, il y a, comme dans un LASER, émission spontanée d'une onde lorsque les gains par amplification sont plus importants que les pertes dues aux processus dissipatifs.
Enfin, nous confronterons ces prédictions à une expérience de la boratoire et à des mesures de terrain effectuées sur plus de deux cents avalanches chantantes. Quatre observations viennent conforter le mécanisme d'instabilité, lesquelles contredisent les hypothèses préalablement avancées par les autres chercheurs. Comme prédit par la théorie, les avalanches doivent avoir une épaisseur minimale pour pouvoir chanter. Les mesures montrent que la vibration est associée à des ondes propagatives (et non à des ondes résonantes) dont l'amplitude est beaucoup plus forte dans l'avalanche qu'immédiatement en dessous. Comme prévu, ces ondes sont amplifiées exponentiellement depuis le front d'avalanche vers l'arrière de la coulée. Enfin, le chant des dunes présente un vibrato caractéristique qui provient de modes instables de fréquence très proche, comme prédit par la théorie.